vendredi 30 août 2013

Petite découverte ...

Voici un très beau texte, inspiré par l'affiche que nous avons découvert il y a quelques jours dans notre boîte mail ...Il peut vous sembler un peu long, mais prenez vraiment le temps de le lire, vous allez apprécier !


Le visage de notre Capitaine le trahissait. Il avait peur. L'angoisse, celle que le corps serre, le glaçait. Voguant, vers l'Ouest, aux abords de la côte malouine, une houle vint nous chatouiller d'abord puis bousculer le plus profond de nos entrailles. Qui, pourtant, en avait vu d'autres. Notre bateau n'avait strictement rien d'un frêle esquif. La mer s'était subitement formée et l'orage qui stationnait, là-bas, au loin, sur l'horizon assombri, ne demandait qu'à fendre en deux le plafond céleste. Les uns priaient nerveusement, les autres vomissaient tripes et boyaux. Le tout dans un désordre inouï. Les célèbres hauts murs de Saint-Malo se dressaient à bâbord. Faisant face au danger imminent, la vigie, elle, s'époumonait à la vue horrifiée des nombreux récifs saillants qui pouvaient réduire "Le Quai des Bulles" en un gigantesque et monstrueux amas de copeaux. L'histoire, notre histoire, ne pouvait s'arrêter à cet endroit. Je le savais. Il était beaucoup trop tôt. Nous avions encore tant à vivre. A partager. Notre Capitaine m'entendait, certes, mais refusait obstinément de m'écouter. Moi, humble marin sous ordres, je savais. Soudain, comme dépité, l'homme arracha ses galons. Me fixa, les yeux embués de lourdes larmes. Baissa la tête sans mot dire. Puis, monta agilement sur la proue. Je hurlais : "De grâce, Monsieur, de grâce, descendez, reprenez-vous, nous serons bientôt, le fait est certain, sains et saufs !". Mieux qu'une intime conviction, j'en avais l'absolue certitude. Je l'avais lu. "Le Quai des Bulles" gîtait, d'un bord l'autre. Vision apocalyptique. Moi, je savais. Quitte à passer pour fou, ne tenant plus, je décidais de tout avouer. Tout. La tempête que nous traversions était issue du fruit d'imaginaires. De deux pour être exact.

Oui, il fallait oublier cette triste mésaventure. Oublier la réalité. Tout n'était que fiction. Oui, fiction. Nous étions, alors, à la fin de la page 13. Le récit, notre récit, dans sa totalité finale, en  comporterait cinquante-huit. J'expliquais, tout en redoutant à chaque seconde d'être balancé par-dessus bord, qu'en fait d'équipage - aux yeux de nos chers Auteurs - nous étions juste une bande. Une bande dessinée. Aucun d'entre nous n'étaient de chair ni d'os. Aucun d'entre nous ne possédait la moindre goutte de sang. Chacun de nos faits et gestes étaient dictés. Tout ce qui pouvait couler, ici, n'était que de l'encre. Oui, de l'encre. Tout n'était que décor. Rien, absolument rien, ne nous appartenait. Aussi, dans quatre cases, précisément, la météo deviendrait bien plus clémente et, un peu plus loin, des courants favorables nous conduiraient assurément sur le bon chemin. "Le Quai des Bulles" se destinait à une belle carrière comme à un succès bien mérité. Le Capitaine buvait littéralement mes paroles.

Convaincu, rassuré, il abandonna, là, ses idées suicidaires. Ivre de joie, me serra fort dans ses bras et me lança, un rictus blotti au coin des lèvres, cette jolie phrase  pleine d'esprit : "Mieux vaut être bande dessinée que bande décimée !"


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